lundi 5 septembre 2011

Lolita


A voir impérativement avec ceci.

" Lolita, lumière de ma vie, feu de mes reins. Mon péché, mon âme. Lo-lii-ta : le bout de la langue fait trois petits pas le long du palais pour taper, à trois, contre les dents.
Lo. Lii. Ta.
Le matin, elle était Lo, simplement Lo, avec son mètre quarante-six et son unique chaussette. Elle était Lola en pantalon. Elle était Dolly à l'école. Elle était Dolores sur les pointillés. Mais dans mes bras, elle était toujours Lolita."

Vladimir Nabokov, Lolita.

         

       Dolores. C'est ainsi qu'on l'avait nommée. Mais très vite -trop vite-, la jeune Dolores laissa place à Madame Chrysanthème, que ses clients les plus proches et les plus réguliers appelaient simplement Lolita.

       J'avais connu Dolores. En ce temps là, elle avait encore la pureté et la fraîcheur de l'innocente jeunesse, elle avait une beauté enfantine, un charme certain, encore très peu assumé.
J'avais connu Dolores, un peu plus âgée. Elle courait après les garçons - habitude qui me parut normale, pour une jeune fille de son âge. Elle avait perdu cette innocence, cette fraîcheur, ce charme ; elle commençait déjà à faner, si jeune.
J'avais connu Dolores, nue sous ses vêtements, les lèvres rouge scarlet, le rire cristallin, perçant les tympans avec autant de force que la lame d'un couteau, et perçant le cœur avec plus de vigueur encore.
Et puis j'avais connu Madame Chrysanthème. Je l'avais vaguement connue, à cette époque. Dolores m'ayant parlé d'elle comme d'une amie très proche qu'il fallait absolument que je rencontre, je suis allé la voir se produire sur scène, un soir. Elle m'avait ébloui. Les formes pulpeuses de son généreux corps féminin virevoltant et se déplaçant avec cette agilité et cette grâce si félines dont elle seule avait le secret me charmèrent immédiatement. Madame Chrysanthème portait à merveille son nom. Elle avait la beauté des fleurs, les cheveux pareils à des pétales, les lèvres roses et si pulpeuses que l'on aurait aimé pouvoir les mordre à pleines dents, et le parfum le plus enivrant qu'une fleur puisse avoir.
Je l'ai suivie dans sa loge, où je retrouvais Dolores. Madame Chrysanthème avait disparu. Dolores me demanda comment je l'avais trouvée, si je la trouvais belle, attirante, si elle paraissait plus âgée, plus femme. Je n'ai jamais sût mentir à Dolores.
Madame Chrysanthème avait donné la gloire et la célébrité à Dolly, et c'est pour cela que je n'ai jamais rien osé dire. Je la voyais heureuse, et c'était ce qui m'importait le plus.
Je suis revenu plusieurs fois l'admirer au cours des mois qui suivirent. Mais plus jamais je ne vis Dolores. Elle semblait s'être effacée, laissant toute la place à Madame. Au départ, je crus que cela n'était que passager, mais bientôt, je ne vis plus en Dolores que la luxure, le matérialisme, la sensualité à l'extrême. Plus de beauté, plus de pureté, plus d'innocence. Madame avait banni Dolores, à jamais.

Cela empira par la suite, lorsque Dolly, ma Dolores, devenue Madame Chrysanthème, devint simplement Lolita.
Elle était pourtant si jeune encore, mais paraissait si vielle. Dolly avait engendré une Chrysanthème qui avait planté ses racines en elle, absorbant toute sa vie, et ayant finit par faner. De ces pétales desséchés, une catin de la plus basse espèce en sortit. Lolita.
Lolita était celle qu'on allait voir lorsqu'on s'ennuyait, celle qui volait les cœurs -et les bourses- de tous ses clients, celle que les vieilles femmes du quartier chassaient en rouspétant, celle qui portait de la fourrure mais qui n'avait nulle part où coucher, celle qui noyait son existence dans l'alcool le plus mauvais, celle qui n'avait plus de famille, plus de passé, plus d'avenir, plus de présent.
Un soir, alors qu'elle recevait un client régulier, on entendit ses cris résonner dans la ruelle.
Au matin, on découvrit le corps d'une fille de seize ans, les joues creusés, le regard livide, un trou caverneux dans sa maigre poitrine.

Destin tragique d'une fleur qui a poussé trop vite.