jeudi 24 mars 2011

Skullgarden

Une petite musique?
Photos inspirées par Vania Zouravliov, qui par la suite m'ont rappelé ce magnifique poème en 999 vers de John Shade.








The reed becomes a bird, the knobby twig
An inchworm and the cobra head, a big
Wickedly folded moth.



Life like a dome of many-coloured glass
Stains the White radiance of eternity.






L'if, arbre sans vie! Ton grand Peut-être, Rabelais :
La grande patate.
                           I.P.H., un très laïque
Institut (I) de Préparation (P)
A l'Hadès (H), ou If, comme nous 
L'appelions -grand si!- m'invita à discourir sur la mort
Pendant un semestre ("pour traiter du Ver",
M'écrivit le Président McAber).
                           Toi et moi,
Et elle, toute petite fille à l'époque, quittâmes New Wye
Pour Yewshade, dans un autre État, plus élevé.
J'aime les hautes montagnes. De la grille d'entrée
De la maison délabrée que nous louâmes
On apercevait une masse neigeuse, si lointaine, si belle
Que l'on pouvait seulement pousser un soupir, comme
Pour faciliter l'assimilation.
                           Iph
Était un nid de larves et une violette:
Une fosse dans le printemps hâtif de la Raison. Et pourtant,
Il y manquait l'essentiel ; il y manquait
Ce qui intéresse au plus haut point le prétériste ;
Car on meurt chaque jour ; l'oubli s'engraisse
Non de fémurs desséchés mais de vies pleines de sèves,
Et nos meilleurs antans sont maintenant de fétides amas
De noms en vrac, de numéros de téléphone et de fiches maculées.
Je suis prêt à devenir fleurette
Ou une grosse mouche, mais à oublier, jamais.
Et je rejetterai l'éternité à moins que la
Mélancolie et la tendresse
De mortelle vie ; la passion et la souffrance ;
Le feu rubis de cet avion qui disparait
Au large de Vesper ; ton geste consterné
D'avoir épuisé tes cigarettes ; la façon
Dont tu souris aux chiens ; le sillage de bave argentée
Que laissent les limaces sur les dalles ; cette bonne encre, cette rime,
Cette fiche, ce mince élastique
Qui retombe toujours en forme de perluète,
Soient à la portée de ceux qui viennent de mourir,
Amassés dans les coffres-forts célestes à travers les âges.


                                                                  Extrait du troisième chant de Pale Fire, John Shade.




From the waterless earth some flowers bloomed in despite of it.


dimanche 20 mars 2011

Sviatoslav Varfolomei


     Si j'étais vous, j'écouterais ceci en lisant...


      
     Croyez-vous au Diable? Ne pas y croire ne vous protégera pas de lui.

     Je n'y croyais pas, et n'y ai jamais crut. Alors pourquoi y aurait-il crut, lui? Le Diable est un mythe, une croyance, le même genre de croyance qu'ont les petits enfants crédules lorsqu'ils déposent naïvement leur souliers au pied de l'arbre de Noël, attendant patiemment l'arrivée de l'homme à la barbe blanche et à la hotte pleine de merveilles. Des croyances fort jolies, mais qui ne riment à rien. Des  croyances futiles qui nous détruisent un instant lorsque l'on prend conscience de leur non-existence, et qui nous font mépriser l'humanité entière de nous avoir aveuglé de la sorte pendant tant d'années.

Ceci est une histoire aux mots carnivores, écrite à la hache, imprégnée d'insomnies.
     
  


      Le jeune Sviatoslav avait été abandonné à sa naissance et fut recueilli par  une famille fort modeste, qui constitua vite le petit cercle des seules personnes qu'il affectionnait plus profondément que tout au monde, à un point tel que les contes de fées ne seraient aptes à en parler -ceci dit, cette histoire n'en est pas un-. On l'avait retrouvé dans le froid glacial à la lisière d'une de ces forêts des pays du Nord, -ces pays perdus aux confins du monde, ces pays que les blizzards ont transformés en peinture monochrome et dont Dante s'est inspiré pour forger sa vision de l'Enfer-, enveloppé dans une couverture de velours brodé qu'il ne découvrit que très tard dans sa vie, trop tard selon lui. On avait supposé qu'une riche famille avait crut s'en débarrasser en le laissant à la merci du froid et des loups, fébrile nourrisson qu'il était. Mais  les cris de ce dernier attirèrent rapidement l'attention de la paysanne Bratomila tandis qu'elle cherchait du bois sec pour réchauffer sa chaumière. Le couple Bratomila avait toujours été désireux d'avoir un enfant, mais la femme était stérile, et le mari désœuvré. Ils recueillirent donc avec grand joie le jeune enfant, qu'ils appelèrent Sviatoslav, ce qui dans les langues slaves signifie gloire et saint.
       Les Bratomila virent grandir ce curieux garçon dont les cheveux étaient aussi blancs que neige, les yeux semblables à la couleur qu'arbore le ciel de Russie les matins brumeux, et l'intelligence incroyable. Ils lui apprirent tout ce qu'ils savaient, de l'usage et la vertu des plantes sauvages à l'art de chasser, et le petit garçon retint selon l'usage traditionnel quelques prières à réciter le soir, afin de se garder du mauvais œil dont ses parent adoptifs parlaient tant, il les aimait ces prières, chacune semblait lui parler plus que tous les mots du monde ; il avait apprit tant de choses pour un petit garçon de sept ans. Sept ans. C'est par ailleurs à cette septième année de sa vie que le destin sembla décider d'un nouveau sort pour le petit Sviatoslav.

        Un jour, un de ces splendides jours qu'affectionnait tant Sviatoslav, un de ces jours où le soleil inondait les pièce de leur petite maison, il s'en fut comme à son habitude cueillir des fleurs dans la bruyère, s'allonger dans l'herbe et suivre des cours d'eau. Les rivières, les ruisseaux éveillaient en lui un sentiment indescriptible d'évasion ; il y voyait des paysages, des hommes et des femmes dansant, lui murmurant mille merveilles. Il aurait aimé y plonger et rire et danser avec eux. Le cour d'eau qu'il suivit ce jour-ci le conduisit loin de chez lui, et des êtres qu'il aimait. Loin, si loin que les paysages que ce cours d'eau traversait paraissaient d'un autre monde, si loin qu'il fut emporté jusqu'à une étrange maison tournante perchée sur une patte de poule. Or, cette curieuse bâtisse qu'un dieu fou avait posée là, était habitée par Baba Yaga, la démoniaque sorcière des contrées du nord. Mais lorsque l'on n'est qu'un petit malchik de sept ans, fatigué par une longue promenade, patte de poule ou non, le principal d'une chaumière est que l'on puisse s'y reposer.
        Une vieille femme dont les cheveux plein de broussailles et de minuscules os masquaient le visage lui ouvrit. D'un geste lent et d'une grâce lugubre elle le fit entrer. On ne sut jamais ce qu'il advint du petit Sviatoslav durant les huit années où il vécu chez la sorcière. Les journées et le temps semblaient filer à toute allure, et quand il songea enfin à regagner son foyer, il ne réalisa pas combien de temps avait passé depuis son départ. Quelques heures, quelques jours, pas plus, lui semblait-il. Mais ces huit années loin de ses protecteurs furent fatales aux Bratomila.
         Quand il aperçu le toit de paille de sa maison, le jeune homme qu'était devenu Sviatoslav se mit à courir, n'ayant qu'une hâte: celle de retrouver la douceur de ses parents. Mais après quelques mètres, il s'arrêta net. La maison de son enfance n'était à présent qu'une carcasse constituée de trois poutres croulantes et miteuses qui soutenaient tant bien que mal un misérable fin toit de paille criblé de trous. C'était à se demander comment pareille architecture pouvait encore tenir debout. Le feu avait dévoré les murs et les meubles, laissant derrière lui une trainé de sillons noirs, la pluie et l'humidité avaient couvert de mousse les derniers éléments que le feu avait épargné. Et le couple Bratomila s'était évaporé. Les pas de Sviatoslav résonnaient sur le carrelage du sol, seul élément immunisé au feu, et qui avait gardé un aspect convenable. La lumière du soleil traversait les orifices de la toiture, formant sur le sol des puits de lumière, qui lui firent un instant songer à Dieu, et au mauvais œil. Où étaient passés les êtres qui lui étaient chers? Qu'était-il arrivé à leur maison?
Pourquoi Dieu avait-il permit pareille infamie? Les Bratomila étaient un couple de paysans très modestes et humbles, qui n'avaient jamais causé de tort à personne et dont la seule activité était la culture de la terre, qu'avaient-ils fait pour mériter de disparaitre de la sorte?
Dieu. C'était lui le coupable.
         A partir de ce jour là, Sviatoslav renia Dieu. Il le méprisa, le trouva cruel et injuste. Dieu, ce Dieu qu'il avait  tant aimé autrefois, qui lui avait promis tant de bonheur, ce Dieu là était mauvais.
A la vérité, le seul tort que le couple Bratomila avait fait, fut de recueillir cet enfant. Car cet enfant était la progéniture même du Mal.

            
            Sviatoslav était né de l'union incestueuse de la Tsarine, éprise de l'un de ses frères. Lorsque le Diable s'ennuie, il viole sa famille. Honteuse, ce marmouset lui aurait causé de lourds problèmes si elle ne s'en était pas débarrassée. Cette histoire, l'histoire de son origine, Sviatoslav ne la découvrit que lorsque sous une dalle bancale du carrelage il trouva cette petite couverture de riche velours brodé dans laquelle il avait été enveloppé. L'insigne de la famille impériale y était brodé en fils d'or. Il s'en fut donc au palais, mais il fut immédiatement rejeté, car l'on ne recevait point de roturiers. Alors il retourna chez Baba Yaga, demander de l'aide à cette vieille femme aux cheveux de broussailles. Toutes ces années passées chez elle rendirent Baba Yaga affectueuse à l'égard du jeune homme (la Baba Yaga exigeait toujours une contrepartie dix fois supérieure au service rendu, personne ne sût jamais tous les services qu'il dût lui rendre pour son hospitalité). Elle lui proposa un marché, il l'accepta avec un calme sans limite. Toute autre personne eût refusé pareil compromis. Elle le lava, le nourrit, le para de vêtements aux étoffes rares et aux broderies d'une infinie richesse, et changea son nom de Bratomila (celle qui aime son frère) pour celui de Varfolomei (en hébreu, le fils qui taille le sillon). En échange, Sviatoslav confia son âme à la vieille femme qu'il appelait Babouchka, car il n'en avait plus besoin.
             De retour au palais, il se présenta comme un esthète. On le reçut avec politesse et manières. Il y séjourna quelques temps afin d'observer son auguste famille et de concocter quelques plans pour détrousser la famille royale et bien sûr, annoncer la nouvelle de ses origines. Il découvrit qu'il avait trois frères, dont le plus jeune se nommait Vyacheslav. C'est auprès de lui qu'il commença sa prospection. Il se lia vite d'amitié pour ce frère insoupçonné qui lui sembla si proche, et dont le goût et la connaissance des arts étaient si grands. Il fut reçu chez le Tsar et apprit la nouvelle du décès de la Tsarine, tenta d'éprouver de l'empathie à l'égard de ses deux autres royaux frères mais fut vite horripilé par leur stupidité et la candeur dont ils faisaient preuve, fut convié à la chasse avec de grands officiers, et échangea sur l'art de Gjel dans divers salons. Il se livra à une vie de plaisirs, fréquentant aussi bien maisons de passe que femmes mariées, ce qui fut à l'origine de bon nombre de provocations en duel. Il était connu comme un libertin, un hédoniste et un homme dont le caractère était impossible à cerner. On aurait dit de temps à autres qu'il n'avait pas d'âme, disaient quelques courtisanes, frappées par le regard aliéné et la froideur de Sviatoslav. Parfois dans les couloirs, on entendait son rire glacial, faisant écho au bruit de ses pas pressés.

               
          Lorsqu'enfin il fut assez proche d'un des membres du cercle très privé de la famille royale -ce fut en l'occurrence le prince Vyacheslav, qui selon lui était très différent de ces royaux imbéciles-, il décida de confier à ce dernier la véritable raison de sa présence séant. Curieusement, le prince n'en fut pas étonné. Il éprouvait également une certaine empathie à l'égard de l'étranger, et se disait proche de lui (le lien qui lie des personnes du même sang est fort curieux et mériterait plus ample réflexion). Leur relation se transforma vite aux yeux des courtisans comme fusionnelle et malsaine, tous se demandant comment un si curieux étranger pouvait avoir gagné si rapidement la confiance, et l'amour du plus jeune de leurs augustes Princes.
          Ces deux princes, Sviatoslav et Vyacheslav, bien qu'ils furent liés par un même sang impérial, étaient également liés par de biens plus obscurs carcans. Si l'un portait en lui la malédiction d'être le produit d'une diabolique intrigue incestueuse, l'autre était maudit pour avoir commis l'horrible crime de s'éprendre d'une entité immortelle. Tous deux , ayant perdu le goût de la vie, n'éprouvant pour elle que de l'amertume et de l'âpreté, jetaient sur le monde un regard plein de haine et de dégoût. Ils en avaient trop vus tous deux, ils avaient trop vécu. Mais ni la mort elle-même, ni ces dieux abjects qu'ils avaient répudiés n'étaient aptes à leur offrir la délivrance et la paix dont ils rêvaient. Alors ils projetèrent, avant de renaître -car les damnés sont condamnés à vivre, inlassablement-, de procéder à un ultime sacrilège envers ceux qui les avaient offensés, et tous ceux qui auraient pu se dresser contre eux, et les séparer à nouveau.
           Ce fut un soir, à l'heure des loups et des légendes, qu'ils s'en furent saccager le plus proche lieu de culte : la cathédrale du palais. Ils renversèrent les idoles, souillèrent du sang du Tsar et de ses fils les autels, firent l'amour à des filles de joie, blasphémèrent et invoquèrent les puissances infernales, lesquelles proclamèrent l'infâme Prince Sviatoslav, le sans-âme, leur nouveau roi.

           Aujourd'hui, le despote Sviatoslav règne avec l'aide de la vieille sorcière Baba Yaga, celle qui collectait les âmes, sur le vaste royaume souterrain des Enfers, car telle était sa volonté et le destin qu'elle avait appelé à ce petit malchik le jour où il vint frapper à sa porte...


vendredi 11 mars 2011

Le pénultième exil

         Parfois la nuit, quand la quête du sommeil s'avère être aussi fructueuse qu'une pêche à la baleine dans un étang public, on décide de se mettre en quête d'autre chose.
La nuit est mon autre, la fébrile lumière d'une bougie la perçant, déchirant son voile de mystères, révélant des souvenirs que l'on croyait enfouis au plus profond de nous.


Souvenirs à la bougie.